Venus d’ailleurs, Paola Pigani

Présentation de l’éditeur :

Wet Eye GlassesIls sont arrivés à Lyon au printemps 2001. Ils ont un peu plus de vingt ans et leur voyage ressemble à celui de milliers d’autres Kosovars qui fuient la guerre: le passage clandestin des frontières, les mois d’attente poisseux dans un centre de transit avant d’obtenir le statut de réfugié… Mirko et sa sœur Simona partagent la même histoire et pourtant leur désir de France n’est pas tout à fait le même. Son intégration, Simona veut l’arracher au culot et à la volonté. Alors elle s’obstine à apprivoiser les lois du labyrinthe administratif et les raffinements de la langue. Mirko est plus sauvage. Pour lui, le français reste à distance. Il travaille sur des chantiers avant de regagner la solitude d’un foyer anonyme. Souvent, il pousse jusqu’aux lisières de la ville où il laisse sur les murs des graffs rageurs. C’est dans ces marges qu’il rencontre Agathe et tisse le début d’un amour fragile.
Dans de brefs chapitres, Paola Pigani dépeint avec délicatesse chaque nuance de l’exil. En filigrane, la beauté de la ville, le hasard des rencontres, le goût amer de la nostalgie.

Mirko et Simona ont voulu la France. « Moi et Simona, c’est toujours la France dans notre vouloir », dit Mirko. Les voilà à Lyon, cette ville qui, « avec deux fleuves et deux gares, pouvait bien ressembler à un port. » Mirko travaille sur un chantier, autre lieu de transit, Simona défait les cartons et met en rayon dans un magasin de vêtements dégriffés.

« Moi, je me regarde dans le miroir de la France et je me trouve jolie. Les autres voient pas que je suis kosovare. Mon pays, il se tait. Là. »

Mais la vie est rude pour ces réfugiés qu’on prend systématiquement pour des Roms. L’intégration est un parcours du combattant, mais ils n’en sont pas encore là. Ils sont si nombreux à courir ce marathon dont la médaille est le statut de réfugié. Si peu à l’obtenir.

L’écriture fine et ciselée de Paola Pigani sculpte des personnages forts, de ces invisibles qui peuplent le quotidien des grandes villes. « Venus d’ailleurs », en lettres capitales, ça se lit « Vénus d’ailleurs », et c’est ainsi qu’apparaît Simona, une Vénus débarquée dans la grisaille entre Rhône et Saône.
Sont esquissés des personnages secondaires touchants, comme ce vieux libraire qui rêve au Mexique (« Moi aussi, je pensais que la France c’était jamais » l’encourage Mirko), ou ce retraité italien qui sauve les fleurs que plus personne ne voit, sur lesquelles tout le monde pisse.

A l’image de la ville bercée de deux fleuves, les réfugiés sont des presqu’îles, « avec deux histoires qui coulent encore ». Un « encore » qui n’est pas voué à s’arrêter, et c’est heureux. « On n’arrête pas les rivières. »
Ce roman, qui emprunte beaucoup à la réalité – si ce n’est tout, ce secret appartient à l’auteur -, est de ces textes qui mettent de l’humanité dans les mouvements migratoires, et des visages sur des chiffres. Nécessaire, donc, en 2016 peut-être plus que jamais.

Oser et faire du bruit
Tout est couleur mouvement explosion lumière
La vie fleurit aux fenêtres du soleil
Qui se fond dans ma bouche
Je suis mûr
Et je tombe translucide dans la rue…
Blaise Cendrars

Éditions Liana Levi, août 2015, 176 pages, 17 €

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Fragments :

« Une seule figue fraîche dans sa main et surgit à la fois la douleur d’une enfance perdue et l’arme qui lui a arraché deux doigts. » (page 13)

« Pour hurler, il lui reste son corps. » (page 28)

« Dans cette étrange réclusion cosmopolite, la fraternité avait l’épaisseur des cloisons entre les chambres. » (page 32)

« Sa bouche est pleine de sel et de silence. » (page 41)

« Les femmes, ici, elles font des enfants qui pourraient tenir dans une fève de cacao. » (page 60)

« La laine neuve du pull-over l’irrite autant que le souvenir. » (page 101

« Il se nourrit comme on oublie, comme on envoie des salves désespérées à une partie de son corps pour taire ce qui attend, ce qui crie famine. » (page 101)

« Celle-là est libre, française, blonde, elle peut se permettre d’aimer un étranger. » (page 109)

« Simona court avec toute sa honte entre les jambes. » (page 122)

« La guerre fait craquer les poumons des petits garçons. » (page 123)

« Il avance en France dans un temps toujours nouveau. » (page 126)

« Dans cette ville qu’elle n’a jamais quittée, Agathe est allée plus loin que lui. » (page 141)

« Il ne sait pas s’il est encore vivant. » (page 148)

« Je ne sais pas exister dans ton amour. » (page 163)

6 réflexions sur “Venus d’ailleurs, Paola Pigani

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