Seins et œufs, Mieko Kawakami

Dans ces pages, trois femmes : Natsu, la narratrice trentenaire et célibataire, qui réside à Tokyo, raconte le bref séjour chez elle de sa sœur aînée Makiko, quarante ans, venue pour une augmentation mammaire, accompagnée de sa fille Midoriko, douze ans.

Makiko, mère célibataire, amaigrie par son rythme de vie éreintant et son travail épuisant, est obsédée par ses seins plus plats que jamais depuis la naissance de sa fille. L’opération de la poitrine lui apparaît comme la solution à tous ses problèmes.

Natsu s’interroge sur les réelles motivations de sa sœur, qu’elle semble soudain voir avec des yeux neufs.

Midoriko, enfin, est tellement perturbée par tout cela qu’elle en a perdu la parole : elle ne s’exprime désormais plus que via son cahier de conversation.

 

« Pour la simple raison qu’on est née, en fin de compte il faut vivre, manger tout le temps et gagner sa vie, rien que ça c’est l’horreur. […] et en plus il faudrait faire sortir un autre corps de son corps ? » (page 30)

 

Au récit de Natsu se mêle le journal de Midoriko qui, en pleine puberté, couche sur le papier ses réflexions, ses révoltes, ses questions et ses angoisses sur la reproduction, les règles, le corps de la femme, le sens de la maternité – autant de sujets dont elle ne peut parler à cette mère qui a décidé de se faire gonfler les seins, ce qui semble une aberration pour Midoriko.

 

Ce très court roman est presque un huis clos. Dans le tout petit appartement de Natsu, les corps parlent et les langues se délient. Les trois protagonistes portent en elles les questions de trois âges et de trois conceptions radicalement différentes du corps en général (et du leur en particulier). C’est aussi le contraste entre la place du corps féminin dans les sociétés orientale et occidentale qui jaillit des pages de « Seins et œufs ».

 

« Avoir des ovules ou des spermatozoïdes c’est la faute à personne, mais au moins on devrait éviter de les faire se rencontrer. » (page 78)

 

Mieko Kawakami a une plume résolument moderne. Le ton adopté est vif, le vocabulaire cru, le récit très rythmé. L’auteur ne lésine pas sur les détails qui souvent restent dans le secret de l’intimité féminine, tout en ne se départissant jamais d’une certaine distance, et d’un humour très japonais :

« La serviette hygiénique, c’est le futon de l’entrejambe. » (page 75)

 

A l’heure du culte du corps et des scandales en tous genres autour de la chirurgie esthétique, ce roman percutant, très éloigné des clichés et du politiquement correct, est une bouffée d’air pur parfumé à la sauce soja. Plus que le naturel, il prône en creux l’adéquation du corps avec l’esprit au travers des portraits de trois femmes du même sang qui se révèlent diaboliquement attachantes.

 

Roman traduit du japonais par Patrick Honnoré

13 réflexions sur “Seins et œufs, Mieko Kawakami

  1. Grrr! Deux chroniques que je lis, deux livres que j’ai envie de lire! Et ma PAFE (Pile À Faire Enregistrer), alors, il faut y penser! Mdrrrr! 🙂 (Je ne lis qu’en audio, voilà pourquoi j’ai unePAFE… Qui va bientôt faire paf, vu son impressionnante taille.)

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  2. je l’ai dans ma pal, et c’est le prochain …il faut juste que je finisse les 750pp du pavé: « Dans la grande nuit des temps » .Autant dire un grand ecard de style….
    je découvre ton blog,
    A bientôt….

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