L’insouciance, Karine Tuil

Présentation de l’éditeur :

l insoucianceDe retour d’Afghanistan où il a perdu plusieurs de ses hommes, le lieutenant Romain Roller est dévasté. Au cours du séjour de décompression organisé par l’armée à Chypre, il a une liaison avec la jeune journaliste et écrivain Marion Decker. Dès le lendemain, il apprend qu’elle est mariée à François Vély, un charismatique entrepreneur franco-américain, fils d’un ancien ministre et résistant juif. En France, Marion et Romain se revoient et vivent en secret une grande passion amoureuse. Mais François est accusé de racisme après avoir posé pour un magazine, assis sur une œuvre d’art représentant une femme noire. À la veille d’une importante fusion avec une société américaine, son empire est menacé. Un ami d’enfance de Romain, Osman Diboula, fils d’immigrés ivoiriens devenu au lendemain des émeutes de 2005 une personnalité politique montante, prend alors publiquement la défense de l’homme d’affaires, entraînant malgré lui tous les protagonistes dans une épopée puissante qui révèle la violence du monde.

 

 

Plus un livre m’embarque, moins bien j’arrive à en parler. J’avais beaucoup, beaucoup aimé le précédent roman de Karine Tuil, L’invention de nos vies (2013). L’insouciance est encore plus fort, encore plus grand.

 

Ce roman est un monde. La question identitaire, l’un des sujets de prédilection de l’auteur, s’y trouve en bonne place. Le roman s’ouvre sur le retour d’Afghanistan de Romain, qui a vu la mort en face et ne s’en remet pas, qui n’a pas pu sauver ses hommes et qui se perd d’en prendre conscience. La jeune écrivain qui lui redonne goût à la vie, l’homme d’affaires auquel celle-ci est mariée et Osman, ami d’enfance de Romain devenu homme politique, forment avec lui ce quatuor de personnages dont on suit les trajectoires, quatre faisceaux distincts qui se rapprochent dangereusement à mesure que le roman progresse. L’explosion (l’implosion ?) est inévitable.

 

Karine Tuil met en scène les mues sociales et les guerres intimes, les cauchemars identitaires et les effondrements intérieurs, ce qui fait l’insouciance et ce qui concourt à sa fin. Au travers de personnages hauts en couleurs, des personnages au bord du précipice, elle propose la peinture d’une société dans laquelle l’identité enferme et conditionne.

La perte de l’insouciance est ici déclinée à l’heure des réseaux sociaux dont la condamnation peut être aussi immédiate que sans appel.

 

Il y a de la brutalité et de l’urgence dans l’écriture de Karine Tuil, de la rage et beaucoup d’aplomb aussi. C’est ce qui, avec l’alternance très rythmée de courts chapitres, rend son roman difficile à lâcher – il l’aurait été tout autant sans doute s’il avait compté mille pages de plus.

 

L’insouciance était très attendu – à raison.

Ce roman d’une brûlante actualité est une nouvelle démonstration magistrale du talent de Karine Tuil à mettre en scène de l’injustice du monde qu’ont créé les hommes, la façon dont les puissants s’octroient leurs privilèges, les arcanes du jeu politique, la lâcheté et les mensonges dont tous, grands et petits, payent le prix. Un livre puissant, un roman-monde.

 

Gallimard, août 2016, 528 pages, 22 euros

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Citations :

 

« La sélection, cette épreuve. » (page 13)

 

« Il y a de l’animalité dans l’épreuve. » (page 20)

 

« La peur gouverne tout. » (page 23)

 

« On n’est pas condamné à être soi. » (page 80)

 

« L’amour n’est pas fait pour l’épreuve. » (page 88)

 

« Le ghetto mental, il faut du courage pour l’affronter. » (page 89)

 

« Le sang-froid est la principale qualité de tout animal politique. » (page 130)

 

« Au pouvoir, le sentiment de pouvoir occulte la peur. » (page 152)

 

« La nostalgie, ce sentiment qui prédestine aux plus grandes déceptions. » (page 153)

 

« Il n’y a pas de sentiments en politique. » (page 182)

 

« Notre réalité démographique est un pouvoir politique. » (page 237)

 

« J’écris parce que la vie est incompréhensible. » (page 245)

 

« Il y a toujours le choix de la lâcheté. » (page 266)

 

« Les escaliers de secours aussi mènent au sommet. » (page 270)

 

« L’intimité aveugle, le plaisir sexuel corrompt. » (page 274)

 

« Il y a quelque chose de très malsain qui est en train de se produire dans notre société, tout est vu à travers le prisme identitaire. On est assigné à ses origines quoi qu’on fasse. Essaye de sortir de ce schéma-là et on dira de toi que tu renies ce que tu es ; assume-le et on te reprochera ta grégarité. » (page 295)

 

« La vie conjugale n’est qu’un des nombreux visages du mensonge social. » (page 347)

 

« On a toujours intérêt à être pessimiste. » (page 441)

 

« Peut-être qu’il ne faut pas chercher à être heureux mais seulement à rendre la vie supportable. » (page 509)

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