La voix impitoyable, Lilian Auzas

La voix impitoyablePrésentation de l’éditeur :

Qu’a pu faire Hanja Sauber, lorsqu’elle vivait à Berlin pendant la guerre, pour être à ce point rongée par la culpabilité et répéter inlassablement : « Je ne suis pas quelqu’un de bien » ? C’est ce que va tenter de découvrir son jeune voisin et ami, le photographe Gautier Maigné, à partir d’une cassette audio incomplète que lui confie le psychanalyste d’Hanja et d’une lettre que celle-ci lui a confié juste avant de mettre fin à ses jours.

Lilian Auzas reconstitue avec intelligence et subtilité cette période charnière qui a marqué l’histoire européenne du XXe siècle. Dans La Voix impitoyable, il met en lumière le Berlin de la Deuxième guerre mondiale, mais aussi celui des années qui ont précédé la chute du mur, puisque le récit se déroule entre Paris et Berlin au début des années 80.

 

Traversant les années 80 par d’incessants allers-retours, le lecteur navigue de 1979 à 1999 et accompagne Gautier dans sa quête du secret avec lequel a vécu Hanja Sauber avant de s’en délivrer dans le bureau de son psychanalyste. La retranscription de la cassette qui est le témoin de sa confession est particulièrement réussie. L’auteur sait entretenir le suspens et jouer avec les nerfs de son lecteur – conséquence de quoi on ne peut lâcher cet ouvrage à partir du moment où la voix impitoyable se fait entendre.

 

Avec ce roman très bref, Lilian Auzas apporte sa pierre à l’édifice qu’est cette question cruciale, et que le temps et le renouvellement des générations n’ont pas réglé, de la complicité du peuple allemand et de sa participation, directe ou indirecte, au nazisme. On aurait aimé 100 pages de plus afin que ce si vaste sujet soit creusé davantage.

 

 

Editions Léo Scheer, 28 août 2013, 132 pages, 17 euros

 

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Pourquoi écrivez-vous, Lilian Auzas ?

 

Morceaux choisis :

 

« Berlin ne l’aimait pas ; et elle n’aimait pas Berlin. Pourquoi donc être revenue ? » (page 19)

 

« Quant à son âme, fatiguée, malheureuse et vieillie, elle n’avait plus la force de lutter contre la petite voix qui existe en chacun de nous. Cette toute petite voix qui, sans cesse et avec férocité, nous rappelle à l’ordre. Celle-là même qui se moque, qui félicite, qui fustige et qui décide de tout. » (page 40)

 

« Hanja le savait : en se livrant à cet appareil, c’était à tout le monde qu’elle se livrait. La bande magnétique représentait le fil qui dépassait de sa peau sale. Et la machine, infernale, gloutonne, tirait dessus. » (page 49)

 

« Les affinités humaines sont parfois étonnantes de rapidité. » (page 84)

 

« On ne peut pas dresser éternellement une barrière entre les hommes. Les idées s’élèvent suffisamment les unes contre les autres. Et le béton est bien moins solide que les courants de pensées. » (page 84)

 

« Gautier avait toujours estimé que les Berlinois étaient des gens chanceux, tout simplement parce qu’ils connaissaient le paradis sur Terre. » (page 87)

 

« Rien n’entraîne à de plus grands malheurs que de se conformer à la rumeur publique, en estimant que les meilleurs choix sont ceux du plus grand nombre. » (Sénèque, Vie heureuse, cité page 93)

 

« En me mentant à moi-même, je sais que je mens inévitablement aux autres. » (page 106)

 

« Elle s’était toujours imaginé la mort comme un nouveau départ, une libération. Et, le moment venu, elle se sentait lasse. Fatiguée de vivre et fatiguée de mourir. » (page 107).

 

« La lecture est parfois un combat quand elle n’est pas une quête. » (page 115) 

Vous mettre en appétit

Rentree litt1Dans quelques jours démarrera officiellement la rentrée littéraire 2013. Temps de crise oblige, la déferlante est moindre cette année : 555 romans seulement, contre 626 en 2012 (17 chroniqués ici), 654 en 2011 (24 chroniqués ici) et 701 en 2010 (25 chroniqués ici).

 

Dans les prochaines semaines, je vous parlerai de plusieurs romans incontournables de cette rentrée, et aussi de titres plus confidentiels qui méritent – à mon humble avis – le détour. Certains de leurs auteurs répondront aussi à mes questions dans la rubrique « Pourquoi écrivez-vous ? ».

 

555 romans, évidemment, c’est insensé et inhumain, particulièrement quand on aime autant découvrir de nouvelles plumes que retrouver celles que l’on affectionne et qui nous réjouissent en septembre de nouveautés.Rentree litt2

 

Mais c’est aussi une période de frénésie littéraire (preuve en est le beau livre 40 ans de rentrée littéraire de Pierre Jourde et Ulf Andersen, publié en 2010 par feux les éditions Anabet) et le meilleur grand bain dans lequel plonger après les vacances.

 

Alors pourquoi lutter ?

 

 

 

Cinq passages-teasers :

 

« Il arrivait un jour où l’un des protagonistes, se sentant mourir sous le poids du ressentiment, se levait et disait tout haut ce que chacun savait mais ne voulait pas entendre. C’est ce que j’avais fait avec mon autobiographie, dans un réflexe de survie, nVertigese mesurant pas la haine que je susciterais en retour ni les ruptures qui en découleraient, et leurs conséquences, comme des maladies incurables avec lesquelles il faudrait composer. »

Lionel Duroy, Vertiges, page 220 >> billet sur My Boox

 

« Dès la première étreinte elles veulent être aimées. Si on amorce un retrait elles en demandent aussitôt la raison. Contraint d’avouer la vérité – je ne suis pas amoureux de toi – on espère que la question sera archivée. Elles exigent alors de savoir la raison profonde de cette négation d’amour. La raison étant toujours blessante – trop jeune, trop Mise en page 1vieille, trop bête, trop hystérique – on biaise, on dit pieusement c’est moi qui suis incapable d’aimer. Elles insistent, elles ont toujours dans leur sac le remède qui va allumer ce cœur sec ou panser ce cœur blessé, elles insistent jusqu’à l’écœurement, jusqu’à l’évidement du cœur. Sourdes, aveugles, le mystère de la réciprocité leur échappe. »

Dominique Paravel, Uniques, pages 60-61 >> billet en ligne

 

« Le ventre un lieu que personne, ni autorité ni institution, ni parti ne peut conquérir, coloniser, s’accaparer tant Kinderzimmerque Mila garde son secret. Elle y est seule, libre, sans comptes à rendre, on peut bien prendre sa gamelle, voler sa robe, la battre au sang, l’épuiser au travail, on peut la tuer d’une balle dans la nuque ou l’asphyxier au gaz dans un camp annexe, cet espace lui appartient sans partages jusqu’à l’accouchement, elle les as eus, les Boches ; plus qu’un enfant, c’est bien ça qu’elle possède : une zone inviolable, malgré eux. Et comme disait son père, qu’ils crèvent ces salauds. »

Valentine Goby, Kinderzimmer, page 95 >> billet en ligne

 

« La ganja a toujours eu une importance considérable dans mon existence. Depuis mes 15 ans, j’ai eu quasiment en parce que tu me plaispermanence un joint dans la bouche, et cela a pas mal modifié mon approche de la vie d’adulte.

En gros, à force de plus ou moins tirer mon épingle du jeu sans rien foutre, je comprenais de moins en moins ceux qui s’obstinaient à rester dans le circuit, alors qu’ils y échouaient.

Si ce n’était pas pour prendre de la grosse oseille et le confort qu’elle procure, à quoi bon ? A quoi bon se faire chier dans un boulot de merde, à bosser juste assez pour ne pas se faire engueuler, à attendre le week-end et les cinq semaines de congés comme un con ? Et quelle est la suite ? Rentrer chez soi le soir, retrouver son tromblon qui fait la gueule pour regarder Les Experts en VF ? »

Fabien Prade, Parce que tu me plais, page 20 >> billet en ligne

 

La voix impitoyable« Quant à son âme, fatiguée, malheureuse et vieillie, elle n’avait plus la force de lutter contre la petite voix qui existe en chacun de nous. Cette toute petite voix qui, sans cesse et avec férocité, nous rappelle à l’ordre. Celle-là même qui se moque, qui félicite, qui fustige et qui décide de tout. »

Lilian Auzas, La voix impitoyable, page 40 >> billet en ligne