À la fin le silence, Laurence Tardieu

Présentation de l’éditeur :

a-la-fin-le-silenceDécembre 2014. Depuis plusieurs semaines, la narratrice sait qu’elle va devoir vendre la maison de son enfance. Lieu des origines et de l’ancrage, de la mémoire familiale et de sa propre mémoire. Face à ce chagrin intime, écrire un livre lui semble la seule chose encore possible : trouver les mots pour, peut-être, sauver un peu de la maison avant qu’elle ne disparaisse de sa vie, lui restituer une part d’éternité.

Janvier 2015. La vague d’attentats qui frappe la France la laisse sans mots, comme dépossédée du monde tel qu’elle le connaissait. En elle, l’urgence s’est déplacée : que faire d’autre qu’écrire, pour tenter d’affronter l’innommable ? Au fil des semaines, sa vie va se jouer entre ce sentiment de fissuration du monde extérieur, que les attentats de novembre ne vont qu’intensifier, et celui de dépossession de son monde intime. Jamais le dehors et le dedans ne lui ont paru à ce point liés. Contrepoint paradoxal, insensé, de cet effondrement généralisé : tout au long de ces mois elle a porté un enfant, puis elle l’a mis au monde.

 

Déjà mère de deux filles, la narratrice attend un petit garçon lorsqu’ont lieu la tuerie de Charlie Hebdo, la mort de la policière et la prise d’otages au supermarché casher. Peu de temps auparavant, elle a appris à l’occasion d’une réunion familiale qu’il n’y avait d’autre choix que de vendre la Cybèle, cette maison perchée face à la Méditerranée, à Nice, l’endroit au monde où elle se sent le mieux, le plus en sécurité. Avec les attentats, cette maison devient dans son esprit l’unique endroit où elle puisse se sentir en sécurité. Et il faut vendre les murs qui seuls protègent du reste du monde. Les ultimes remparts contre la violence et la folie du monde.

Entre la douceur de l’intérieur et la brutalité de l’extérieur, entre la vie du dedans et la mort qui s’abat au-dehors, deux réalités s’affrontent, s’opposent – deux temporalités aussi. La narratrice éprouve le besoin de regrouper autour d’elle et de son ventre ses enfants déjà nées. Avec l’hypersensibilité de la grossesse, la situation lui est plus qu’à d’autres insupportables.

Laurence Tardieu décrit à merveille l’hébétude dans laquelle la plongent les attentats, et cette masse invisible mais palpable que forme autour de soi la menace. C’est aussi le pouvoir de manipulation mentale, l’emprise des tueurs et des preneurs d’otages qui transparaît dans ses mots, dans sa peur.

 

Il y a trois temps dans ce roman. La première période est celle des attentats de janvier, l’hébétude face aux événements et à la fin définitive de la stabilité, la troisième celle des attentats de novembre et de l’anéantissement. La deuxième est un entre-deux dans lequel se mêlent les souvenirs de la maison, ses odeurs, et les sensations de l’enfant qui grandit en elle cependant qu’elle se sent s’effriter de l’intérieur et en perd jusqu’aux contours de son corps.

Ce roman d’une grande sensibilité est celui de l’effondrement intérieur, qui donne raison aux auteurs des massacres autant qu’il témoigne, par le prisme de la narratrice, de l’état de sidération d’une société toute entière. Le rythme changeant de la plume de l’auteur, tantôt lente, tantôt prise d’affolement, dit la schizophrénie de l’être déchiré entre la vie et la mort.

On tient peut-être là le roman de l’après-7 janvier.

Seuil, 2016, 176 pages, 16 euros

roman lu dans le cadre des matchs de la rentrée littéraire de PriceMinister #MRL16 (lecture choisie dans la sélection d’Antigone)

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Murmures :

 

« Ici, je porte tous mes âges. » (page 43)

 

« Dois-je accepter d’avoir perdu la sensation des contours de mon corps pour toujours ? » (page 72)

 

« L’imprévisible était entré dans nos vies. » (page 83)

 

« Il me semblait que j’avais été chassée du monde que j’avais toujours habité. » (page 84)

 

« J’aimerais retrouver le monde d’avant, un monde qui tenait. » (page 103)

 

« Ce qui n’aura pas été écrit se confondra avec ce qui n’a pas existé. » (page 121)

 

« Une vie sans rêves est une vie amputée de l’essentiel. » (page 164)

 

« Une vie sans rêves ressemble à un pays sans lumière. » (page 164)

6 réflexions sur “À la fin le silence, Laurence Tardieu

  1. C’est cela justement qui m’a intéressé dans ce titre, qu’elle exprime ce que beaucoup ont ressenti après le 7 janvier. Après, il détonne un peu de ses autres écrits, et certains lecteurs ont ressenti un agacement que je peux comprendre aussi (le fait de ramener à soi de tels évènements tragiques)… mais on peut être touchée dans son corps, sans être touchée personnellement, parfois l’empathie et la sensibilité ont leurs mystères.

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